En ce jour de deuil national en l’honneur du « petit télégraphiste de Varsovie » il convient de rappeler que le néo-capitaliste Giscard d’Estaing est le premier chef d’État à avoir rompu le pacte multiséculaire qui unit la France au Liban.
Néo-capitaliste et soixante-huitard comme l’écrit magistralement Régis Debray dans Mai 68, une contre-révolution réussie : « L’État comble chaque jour son retard. La transcroissance du système, indispensable à sa survie, s’est opérée, et continue de le faire, sur la lancée de Mai. Les nouvelles fonctions du capital ont trouvé leurs organes adéquats. Après que le Patriarche s’est vu signifier son congé (avril 1969, contrecoup de Mai 68) par la voix combinée des agents de change de la Bourse et des agents du changement de la Sorbonne, Pompidou le latiniste, né à Montboudif de parents instituteurs, débarrasse le plancher devant Giscard l’économiste, né à Coblence d’un père financier international. L’humanisme classique passe le flambeau au systémisme du M.I.T., les normaliens des cabinets ministériels aux brain-trusts d’énarques. La vieille bourgeoisie d’Etat à la nouvelle bourgeoisie financière. II y eut bien subversion dans le passage de l’archéo au néo, mais elle n’a renversé que les rapports unissant, au sein de la société libérale, les techniques de gestion aux pratiques de domination. Nous sommes passés d’une technocratie honteuse (cachée derrière un charisme patriarcal) à une technocratie triomphante, c’est-à-dire d’un autoritarisme triomphant (mais en façade) à un autoritarisme honteux (plus diffus, et plus réel) ».
En 1970, dans son manifeste du capitalisme avancé Ciel et Terre, Jean-Jaques Servan-Schreiber préconisait l’abolition de la transmission héréditaire de la propriété des biens de production. Le capitalisme patrimonial du XIXe et du début du XXe devenait un boulet pour le capitalisme d’actionnariat. On comprend mieux la collusion des gauchistes et des libéraux au service du néo-capitalisme.
Le vieil Engels avait été quasi prophétique : « En dissolvant les nationalités, l’économie libérale fit de son mieux pour généraliser l’hostilité, pour convertir l’humanité en une horde de bêtes féroces – les concurrents sont-ils autre chose ? – qui se dévorent mutuellement parce que les intérêts de chacun sont égaux à ceux de tous les autres. Après ce travail préliminaire, il ne restait plus à l’économie libérale qu’un pas à faire pour atteindre son but : il lui fallait encore dissoudre la famille ».
Le libéralisme sociétal et le libéralisme économique allant de pair, Giscard a été tout naturellement l’initiateur et le champion des réformes sociétales. « Cette heureuse libération sociétale [mai 68] eut pour pendant et contrepartie un effondrement symbolique, avec la mise en marche d’une privatisation tous azimuts, bien au-delà des services, des pouvoirs publics eux-mêmes. Big Brother vaincu, Big Mother monta sur le pavois ; et l’autorité paternelle mise à bas, l’individu compassionnel, soulagé de son ancien surmoi, fut livré tout cru à la tyrannie de l’argent, de l’opinion et de l’instant. Avec cette revanche en sursaut du refoulé, on passa d’un trop d’État à un pas assez. Les révolutions authentiques sont toutes puritaines. L’exaltation unilatérale et rien de moins que freudienne de la libido par l’« esprit de Mai » aurait pu mettre la puce à l’oreille des historiens de l’immédiat. Ce que l’individu gagnait en liberté, le citoyen n’allait-il pas bientôt le perdre en fraternité ? Et les citadins, en égalité ? Derrière une Love Parade ouverte à tous les exclus, des free parties sans interdits, se faufilaient, sans mot dire, le trader, l’insatiable show-biz et le tout-à-l’ego.» (Régis Debray, extrait de la préface de Mai 68, une contre-révolution réussie).
Dans le site de l’Institut du monde arabe, à la page Genèse du projet, on peut lire : « C’est Valéry Giscard d’Estaing qui a été le premier à envisager un organisme de ce type afin d’apaiser les tensions du moment et de permettre des collaborations créatrices au lendemain de la première crise pétrolière ». Du Bat Ye’or dans le texte !
En 1976, Giscard donne carte blanche à la Syrie au Liban, carte blanche qui est à l’origine de l’invasion et d’une occupation de presque trente ans. Alors que la Syrie venait d’envahir le Liban, Giscard déclara à Hafez-el-Assad reçu en grande pompe à Paris : « Rien ne nous satisferait d’avantage que de constater que le concours de la France au Liban n’est pas nécessaire ».
Trahison qui provoqua cette réflexion de bon sens et cruellement prémonitoire de Saddam Hussein à l’adresse de Raymond Barre : « Comment se fait-il que la France amie de longue date du Liban le lâche ? Comment pouvons-nous vous faire confiance alors que nous ne sommes amis que de fraîche date ? ».
En octobre 1978, Louis de Guiringaud, ministre des Affaire étrangères, rejette sur les seuls chrétiens la responsabilité de la guerre du Liban et sur les milices chrétiennes la responsabilité de son aggravation : « Il ne faut pas oublier que ce sont les Chrétiens qui ont appelé les Syriens au Liban pour se protéger contre les Palestiniens, pour essayer aussi de restaurer une situation privilégiée dont ils bénéficiaient dans le Liban tel que nous l’avions nous-mêmes constitué après la Première Guerre mondiale, et aidé à se maintenir après la Deuxième Guerre mondiale. Un Liban dont la majorité de la population est musulmane, mais dans lequel l’État était pratiquement contrôlé à tous les échelons par les Chrétiens…. Ce sont ces milices chrétiennes qui ont déclenché la dernière bagarre de la bataille de Beyrouth ; ce ne sont pas les Syriens… Je considère comme très important de leur dire, à travers vous, qu’il ne faut pas qu’ils comptent sur l’appui de la communauté internationale dans un combat qui est un combat sans raison, déraisonnable ».
Un mois plus tôt Louis de Guiringaud s’était rendu en Indonésie (pays dont la population est principalement mahométane) pour y signer un accord militaire assorti de vente d’armes et de la garantie que dans le cadre de l’Onu la France ne s’opposerait pas à l’Indonésie pour avoir envahi le Timor oriental et y avoir commis des massacres de masse.
Le Timor oriental dont la population est catholique…
François Mitterrand candidat avait fait la promesse de rétablir les liens pluriséculaires entre la France et le Liban. Il tint parole et c’est pourquoi notre ambassadeur Louis Delamare fut assassiné. Mitterrand a soutenu la souveraineté du Liban tant qu’il a pu. En 1989 la Syrie a voulu, par une offensive d’envergure, en finir avec la zone du Liban non encore occupée par elle. La France a rapproché deux frégates lance-missiles et le porte-avions Foch, ce qui a eu pour effet de stopper la Syrie. Peine perdue cependant puisqu’il fallut donner des gages à la Syrie l’année suivante pour la faire entrer dans la coalition contre l’Irak. Les États-Unis exigèrent que la France lâche Michel Aoun et qu’Israël lève les exclusions aériennes afin que la Syrie puisse bombarder le palais présidentiel de Baabda. La France s’est, hélas, couchée pour favoriser une guerre contraire à ses intérêts et à ses amitiés, Israël a prouvé son manque de fiabilité et la scélératesse américaine a été une nouvelle fois confirmée.
Pascal Olivier